Projets de recherche complétés

La fabrication d’une littérature : évolution de la critique littéraire en Ontario français (2009-2014)

Il s’agit, dans le cadre de ce projet, d’élaborer une histoire de la critique littéraire en Ontario français en la situant dans la question plus large de la réception des littératures minoritaires. Si les lecteurs étrangers abordent les oeuvres minoritaires en fonction de grilles de lecture déterminées d’avance par leurs idées préconçues à l’égard des «_petites littératures_», qu’en est-il des critiques qui s’intéressent à ces oeuvres? Voilà la question qui orientera cette recherche.

La première étape de ce projet sera de cerner les différentes définitions des littératures minoritaires afin de voir dans quelles mesures elles orientent la réception de ces oeuvres, puisque, comme l’écrivait Jean-Louis Major, toute définition de la littérature fixe «_un cadre épistémologique où s’inscrira toute méthode critique_» (1985, 130). Depuis la célèbre définition de Gilles Deleuze et Félix Guattari (1975) de ce qu’ils nomment «_les littératures mineures_», jusqu’à sa remise en question par de nombreux jeunes critiques en passant par le concept de «_littérature de l’exiguïté_» proposé par François Paré (1992), plusieurs critiques ont tenté de définir la spécificité des littératures émanant de groupes culturels ou linguistiques minoritaires. Toutefois, personne n’a jusqu’à présent fait une étude approfondie des diverses définitions proposées. C’est donc ce que je me propose de faire ici. Certaines questions orienteront mon étude, dans cette première étape_: Dans quelle mesure ces littératures sont-elles perçues comme des littératures régionales, si ce n’est régionalistes, de moindre importance que les corpus nationaux? Dans quelle mesure la défense d’une «_littérature-monde_» de langue française peut-elle leur être favorable ou défavorable? L’objectif ultime de ce premier volet de la recherche est de mieux comprendre la place qu’occupent les «_petites_» littératures et en particulier la littérature franco-ontarienne dans l’économie de la «_République mondiale des lettres_» telle que définie par Pascale Casanova (1999).

Dans un deuxième temps, il s’agira d’étudier le discours des trois principaux critiques et théoriciens de la littérature franco-ontarienne, soit Fernand Dorais, René Dionne, et François Paré, afin de cerner la définition qui sert de cadre épistémologique à leur approche des textes franco-ontariens. Je procéderai d’abord à une analyse détaillée de leurs écrits critiques. En effet, deux de ces critiques, soit Fernand Dorais, René Dionne ont entrepris leur travail de critique a un moment clé de l’histoire littéraire de l’Ontario français, soit durant les années 1970 et au début des années 1980 alors que naît une véritable institution littéraire franco-ontarienne. Ils ont tous les deux participé, chacun à leur façon, à la création de cette institution littéraire soit en rédigeant des textes programmatiques, des histoires de la littérature ou en colligeant des anthologies. François Paré, pour sa part, arrive sur la scène littéraire franco-ontarienne à la fin des années 1980. L’étude de son oeuvre plus théorique, soit ses essais Les littératures de l’exiguïté, Théories de la fragilité, La distance habitée et Le fantasme d’Escanaba, visera à cerner l’influence de ses prédécesseurs sur sa conception des littératures minoritaires en général et de la littérature franco-ontarienne en particulier. Cependant, si les écrits plus «_théoriques_» de ces trois chercheurs permettent d’en déduire la conception de la littérature franco-ontarienne qu’ils énoncent explicitement, il reste à savoir si c’est celle-ci qui sert de fondement à leur analyse des textes littéraires franco-ontariens ou s’il y a derrière le discours explicite une autre conception, peut-être même inconsciente, qui oriente leur lecture des textes. Il s’agira donc aussi de décortiquer leurs écrits critiques, comptes rendus et articles d’analyse, afin de dégager l’«_horizon d’attente_» (Jauss, 1978) qui est le leur. Cette étude se fondera sur divers travaux portant sur l’histoire de la critique littéraire au Québec dont, entre autres, l’article de Maurice Lemire, «_L’instance critique_» (1989), la «_Brève histoire de la critique littéraire au Québec_» de Jacques Allard (1991) et, en particulier, le livre de Nicole Fortin, Une littérature inventée. Littérature québécoise et critique universitaire (1965-1975) (1994). Dans cette étude, Nicole Fortin examine l’évolution de la critique littéraire au Québec par le biais d’une analyse de textes critiques parus dans trois revues_: Études françaises, Études littéraires et Voix et images du pays. Ces études s’intéressent ainsi à l’évolution de la critique littéraire au Québec. Tout en constituant des oeuvres de référence, il n’en demeure pas moins qu’elles portent sur un corpus précis et différent et, surtout, qu’elles ne prétendent pas élucider les liens entre le contexte de production minoritaire et le type de critique qui existe à un moment donné, même si elles soulignent parfois l’interaction entre les contextes de production et réception. Les travaux de Nicole Fortin me seront également utiles dans l’analyse des textes critiques. En effet, bien que je m’inspirerai des diverses études sur la critique littéraire dans différents contextes, j’adopterai une méthode analogue à celle proposée par Nicole Fortin, qui cherche «_à rendre compte de l’objectivation des valeurs et de la rhétorique de leur présentation [par] l’emploi des théories argumentatives et axiologiques, qui concernent autant l’enchaînement logique des énoncés que la systématisation des jugements, des idées et des valeurs_». Ainsi, l’analyse du discours critique s’intéressera également à la «_mise en mots_» des jugements de valeur portés sur les textes.

Le troisième volet de cette recherche portera sur la canonisation de certaines oeuvres du corpus minoritaire et l’absence d’autres oeuvres du discours critique. Le phénomène de la canonisation de certaines oeuvres et de l’exclusion d’autres oeuvres est entièrement fondé sur les présupposés qu’entretient l’institution littéraire à l’égard de la production littéraire. Il s’agira donc de cerner comment certaines oeuvres réussissent à franchir «_les étapes hasardeuses du parcours d’émergence qui lui permet de se constituer en une oeuvre marquante dans sa littérature nationale, voire dans la littérature_» (2000, 4e de couverture), d’identifier les éléments qui font que certaines oeuvres deviennent «_emblématiques_» (Lapointe, 2008). J’étudierai dans ce volet de ma recherche le sort que l’institution littéraire franco-ontarienne a réservé à ceux qu’elle nomme affectueusement les trois D, soit Robert Dickson, Jean Marc Dalpé et Patrice Desbiens. Ce processus d’encensement de certaines oeuvres littéraires s’accompagne de l’occultation d’autres oeuvres, notamment les oeuvres produites par les femmes comme le montre Daniel Chartier au sujet de La Chair décevante de Jovette-Alice Bernier, Dans les ombres d’Eva Sénécal, et Cocktail de Yvette Ollivier Mercier-Gouin qui sont tombés dans les limbes de l’amnésie institutionnelle. J’analyserai donc la réception critique dont ont bénéficié (le terme est sans doute trop positif pour le sort qui a été le leur) les oeuvres écrites par des femmes durant les années 1970 et au début des années 1980. Ce projet de recherche s’appuie donc sur les méthodes déjà utilisées dans mes travaux antérieurs, notamment sur les théories de la réception, les études de l’institution littéraire et de la critique littéraire ainsi que sur les analyses des conditions d’existence propres aux «_petites_» littératures. Bien que toutes les théories de la lecture seront utiles, ce sont plus précisément les divers concepts liés au contexte de réception, tel celui de communauté interprétative (Stanley Fish) ou celui d’horizon d’attente (Hans Robert Jauss) qui me seront encore une fois les plus utiles. À travers ces trois étapes, ce projet permettra de dresser une histoire de la critique littéraire en Ontario français et par le fait de mieux comprendre les enjeux institutionnels liés à la réception critique des littératures minoritaires en général.

Étude réalisée dans le cadre de ce projet : La-chaîne-du-livre-en-Ontario-français-Un-état-des-lieux-3 (fichier PDF)

Identité, altérité et éthique en littérature franco-ontarienne (avec Johanne Melançon, Université Laurentienne) : 2006-2010

Cette recherche s’inscrit dans le renouveau des études sur la littérature franco-ontarienne et les littératures minoritaires en général qui cherchent désormais à aborder les œuvres en fonction de leur composante esthétique et qui remettent en question leur rapport à l’identitaire.

Depuis la célèbre définition de Gilles Deleuze et Félix Guattari des littératures mineures comme étant caractérisées par «_la déterritorialisation de la langue, le branchement de l’individuel sur l’immédiat-politique [et] l’agencement collectif d’énonciation_» (1975_: 33), les littératures minoritaires sont associées à l’engagement politique national des écrivains. On y voit d’abord et avant tout le lieu d’expression d’une collectivité qui affirme, dans ses œuvres littéraires, son identité, sa spécificité, qui y souligne les particularités de son rapport à l’autre majoritaire et dominant. Comme le remarque Annie Pronovost, la critique a dès lors privilégié, dans l’analyse des textes minoritaires, les «_données circonstancielles qui provoquent les situations minorisantes_: rapports de forces ethniques ou coloniaux, luttes de pouvoir, canons littéraires, rigidité ou faiblesse de l’institution, etc._». La littérature franco-ontarienne n’a pas échappé à cette lecture, bien au contraire.

Ce projet de recherche vise, dans un premier temps, à cerner la façon dont le discours critique définit la littérature et la chanson franco-ontarienne en relation avec l’identitaire tant dans son rapport à soi que dans son rapport à l’autre. Afin d’atteindre ce but, nous nous proposons d’analyser le discours critique sur la littérature franco-ontarienne en général, soit celui qui tente de la définir (notamment les articles de Laure Hesbois, Paul Gay, René Dionne, Yolande Grisé, Robert Yergeau) et surtout les textes de Fernand Dorais et François Paré, qui ont tous deux joué un rôle fondamental dans les études littéraires franco-ontariennes. Ces deux critiques abordent la littérature franco-ontarienne dans des essais qui se prêtent bien à l’analyse. Leur approche de la littérature s’appuie fortement sur une éthique humaniste que nous définirons et dont nous soulignerons les enjeux.

Dans un deuxième temps, nous analyserons une sélection de chansons, la chanson étant un vecteur identitaire important en Ontario français, et de textes littéraires franco-ontariens en y étudiant la représentation de soi et de l’autre. Chaque analyse de texte cherchera à identifier l’évolution et les modifications des paradigmes de l’identité et de l’altérité. Il s’agira en fait de s’interroger sur les concepts, de cerner les enjeux qui en découlent. Pour ce faire, nous aborderons le corpus en fonction de trois moments clés_: du début des années 1970 à la fin des années 1980, qui, avec l’avènement de la Coopérative des artistes du Nouvel-Ontario, du théâtre d’André Paiement, de la poésie de Jean Marc Dalpé et Robert Dickson, des chansons de CANO, a donné naissance à la lecture identitaire; la fin des années 1980 qui, avec la publication de la pièce Le Chien de Jean Marc Dalpé (1987) et du roman L’Obomsawin de Daniel Poliquin (1987) ainsi que la chanson «_Notre place_» de Paul Demers (1989), marque un tournant dans la représentation du soi et de l’autre; enfin les années 1990, qui, avec le théâtre de Patrick Leroux, les romans de Didier Leclair, entre autres, de même que la musique de Kif-Kif, Conflit Dramatik ou Afro-Connexion redéfinissent la question de l’identité en se fondant sur des paramètres ou des groupes de référence autres que ceux qui étaient communément admis.

Au moment où la mouvance sociale, dans le contexte de la globalisation, nous oblige à redéfinir les notions d’identité et d’altérité, il s’avère important de réfléchir à la place qu’elles occupent dans la définition des groupes et des littératures minoritaires. Toute définition identitaire risque de conduire à l’exclusion et à la ségrégation. Toutefois, faire abstraction de l’identitaire, n’est-ce pas vouer le groupe à l’oubli? Aussi croyons-nous qu’une étude de la place qu’occupe le soi et l’autre dans le discours critique sur la littérature et la chanson franco-ontariennes permettra de mieux comprendre les enjeux auxquels font face les groupes minoritaires. La question de l’altérité et, conséquemment, de l’identité est au cœur même des débats contemporains. Elle s’avère d’autant plus pertinente dans le cas des groupes et des littératures marginaux qui sont à la merci de l’homogénéisation des cultures.

Ce projet a bénéficié d’un financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

Lire l’Autre : réception interculturelle et éthique (2004-2009)

L’étude des relations entre les littératures minoritaires, la réception critique et l’établissement des canons est un domaine d’études des plus novateurs et surtout des plus importants en ce début de millénaire. Dans le contexte de la mondialisation, nous assistons à une homogénéisation des cultures, ce qui entraîne nécessairement une minorisation d’autant plus grande des cultures et des littératures minoritaires. Il s’avère donc essentiel d’analyser les enjeux liés au contexte de production et de réception des littératures minoritaires afin de mieux comprendre le fonctionnement de toute institution littéraire, mais aussi, et surtout, afin de saisir les rapports entre toute production littéraire et les forces hégémoniques des discours tenus sur la littérature.

Le but premier de cette recherche est d’éclairer deux éléments en particulier, primordiaux pour une meilleure connaissance des enjeux liés à la réception interculturelle. Le premier touche aux problèmes de lecture suscités par les textes minoritaires. Himani Bannerji les attribue aux «_gaps in meaning, missing edges_» propres aux textes marginaux. Le deuxième concerne les stratégies de lecture mises en œuvre par les lecteurs afin de contourner ou combler ces «_trous_». Ce dernier aspect nous oblige à réfléchir à la lecture dans une perspective éthique.

Ce projet a bénéficié d’un financement de la Chaire de recherche sur la francophonie canadienne (Université d’Ottawa).

Entre l’esthétique et l’identité : réception des littératures minoritaires. Le cas de la littérature franco-ontarienne (2001-2004)

L’objectif principal de ce projet de recherche est d’étudier les fondements épistémologiques de la critique littéraire par le biais d’une analyse de la littérature franco-ontarienne. Dans les études littéraires, il existe deux prises de position épistémologiques apparemment irréconciliables_: l’approche essentialiste et l’approche fonctionnaliste. En généralisant, on pourrait dire que la première s’intéresse d’abord à l’aspect esthétique de la littérature alors que l’approche fonctionnaliste s’élabore en tenant compte des critères sociologiques. Or, c’est justement le rapport de force entre ces deux approches que je me propose d’étudier. Pour cette étude, la littérature franco-ontarienne servira de corpus et de modèle. Les œuvres retenues sont toutes publiées entre 1970, date de l’émergence d’une littérature franco-ontarienne qui se réclame de ce nom, et 1999. De plus, elles appartiennent aux divers courants littéraires et émanent de différentes générations d’écrivains. Il s’agit des œuvres de Marguerite Andersen, Hélène Brodeur, Andrée Christensen, Jean Marc Dalpé, Patrice Desbiens, Patrick Leroux, Michel Ouellette, André Paiement, Daniel Poliquin, Gabrielle Poulin, Stefan Psenak.

Les objectifs secondaires sont d’abord d’identifier les rapports entre les thèmes et les approches privilégiés par la critique littéraire et ceux présents dans les textes eux-mêmes. Je tenterai ensuite de déterminer l’incidence de la réception sur la production littéraire. Il s’agira alors de voir si la valeur que la critique accorde à certains textes influe sur le genre de textes qui seront publiés ultérieurement et, surtout, de déterminer si ces nouveaux textes sont lus en fonction de critères préétablis.

J’examinerai, d’une part, les prises de position esthétiques et la place qu’occupe le socioculturel dans les textes franco-ontariens. D’autre part, j’étudierai le discours critique qui porte sur la littérature franco-ontarienne. Grâce à la banque de données que j’ai conçue et qui regroupe tous les textes critiques portant sur les œuvres franco-ontariennes retenues pour l’analyse, il me sera possible, par exemple, de déterminer si un thème est propre à un critique ou à un certain groupe de critiques, à quel moment certaines préoccupations sont apparues ou disparues au sein du discours critique, etc. Je pourrai ensuite confronter les composantes esthétique et culturelle dans les textes avec les éléments pris en compte lors de la lecture institutionnelle en Ontario français et ailleurs.

L’analyse sera axée sur quatre éléments socioculturels (la langue, la thématique identitaire, l’espace et le temps) dont la récurrence et les particularités, autant dans les textes littéraires que dans les textes critiques, permettent de croire qu’ils constituent les traits marquants de la littérature franco-ontarienne. Ces quatre éléments (l’espace, le temps, la langue et l’identité) servent à construire l’univers littéraire. À partir d’eux, il est possible d’élaborer une lecture sociologique des œuvres. Cependant, ces éléments jouent aussi un rôle à un autre niveau, soit celui de la structuration des textes et, partant, de leur signification interne autant que de leur fondement esthétique. Ainsi, ces éléments peuvent, à la fois, servir de fondement à une approche fonctionnaliste et à une approche essentialiste des textes littéraires.

L’étude des relations entre les littératures minoritaires, la réception critique et l’établissement des canons est un des domaines d’études des plus nouveaux et surtout des plus importants en ce début de millénaire. Dans le contexte de la mondialisation, nous assistons à une homogénéisation des cultures, ce qui entraîne nécessairement une minorisation d’autant plus grande des cultures et des littératures minoritaires. Il s’avère donc essentiel d’analyser les enjeux liés au contexte de production et de réception des littératures minoritaires afin de mieux comprendre le fonctionnement de toute institution littéraire, mais aussi et surtout afin de saisir les rapports entre toute production littéraire et les forces hégémoniques des discours tenus sur la littérature.

Ce projet a bénéficié d’un financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, du programme spécial de fonds d’amorçage pour nouveaux chercheurs en sciences sociales et sciences humaines et d’une bourse de recherche universitaire (Université d’Ottawa).